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LE SOLEIL
ET LES AUTRES ÉTOILES
CANTATE

Cantate Le Soleil et autres étoilesEric Breton
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LE SOLEIL ET LES AUTRES ÉTOILES

CANTATE

Texte et musique : Eric Breton

 

Bien que l’histoire soit clairement inspirée de celle du massacre des Moines de Tibhirine en 1996, le sujet est traité en dehors de toute référence précise (époque, lieu, religion). Le discours porte sur les oppositions éternelles : soumission forcée/soumission consentie, amour/haine, mort et résurrection. Mais aussi sur le sens du Sacré et la puissance de la Foi qui anime celles et ceux qui partagent un même idéal. 

Les dernières paroles sont celles du dernier vers de la Divine Comédie de Dante Alighieri « l’Amor che move il sol e l’altre stelle ». 

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Ante mare et terras et quod legit omnia cælum (Ovide : Les Métamorphoses)

 

Frères !   Frères ? Dans ce monastère, au cœur du silence, assemblés. 

Qui sommes-nous ? Des hommes, de simples hommes, éveillés dans la nuit... 

Que faisons-nous ? L’écho de nos voix répond à celui de nos frères. L’onde fugitive de nos chants glisse dans le vent, se perd dans l’espace, transperce l’éther et nous revient auréolée de lumière. 

Dans le secret des lieux où souffle l’esprit, méditation, contemplation et prière participent aussi à l’équilibre du monde. Qui le dit ? Les poètes, les fous, les sages et les prophètes ! 

Qui le sait ? Le monde le sait, mais il l’a oublié, trop occupé aux vaines luttes du jour. 

L’ordre ancien n’est plus garant de la continuité du monde. 

En ces temps troublés, que dit-on de nous ? Selon certains, nous serions inutiles, verrues improductives et dérisoires. Nous serions même lâches, fuyant le siècle, fuyant ses défis. 

D’autres...  D’autres nous disent étrangers, voudraient nous chasser, décrètent notre présence impure ! 

Que dirons-nous ? Où irons-nous ? Que ferons-nous ?

La rumeur du monde n’est qu’un souffle du vent. Elle vient tantôt de là, tantôt d’ici et change de nom en changeant de côté. Qui saura le vrai en ce moment troublé ? Je me réjouissais d’une journée nouvelle où paix et amitié semblaient promises à tous. Comment deviner qu’elle nous plongerait dans l’inquiétude ? 

 

J’allais dans le soir, attentive, autant que mes yeux pouvaient voir à travers les rayons brillants et tardifs. Et peu à peu voici qu’une fumée s’en venait vers moi, noire comme la nuit. Il n’était pas de lieu pour s’en abriter. Elle me priva des yeux et de l’air pur. 

Qui croirait qu’en ce lieu on veuille porter querelle ? Comment de douce graine peut naitre un fruit amer ? 

 

Des cris, des pleurs dans le lointain ! Qui sait ? Peut-être le vent ? 

Nous ne pouvons qu’aimer, prier, soigner. 

Peut-être le râle sourd des arbres calcinés ? 

Alors, quelle âme obscure troublerait notre tâche ? Un mal aveugle semble roder. 

Que feraient-ils à qui leur veut du mal...  

La terre frissonne ! s’ils condamnent qui les aime ? 

La terre frissonne, l’eau elle-même retient son cours ! 

Quel motif inconnu pousserait à des actes que toute foi réprouve ? 

Nul ne sait si danger il y a, ou si quelque mirage a enflammé le ciel ? 

 

Mais tout cela n’est que rumeur lointaine. Qu’en savons-nous vraiment ? 

Qui nous l’a dit ? Voyons, laissons là ces disputes. Elles n’entreront pas dans l’enclos du silence et de la prière. 

 

Les étoiles ont brillé à nouveau, scintillantes et lointaines. La rivière a coulé doucement vers la mer, emportant les brumes de la nuit. 

Une lueur timide scintille en moi comme une étoile au ciel. Laissons la providence guider chacun de nous, qui ne connaissons d’autre chant que celui du partage. Je m’en allais, timide, pensive... 

 

Déjà venait le temps où l’air s’obscurcissait. Le sommeil, qui en sait souvent la nouvelle avant qu’un fait n’advienne, m’avait troublé si fort que j’errais dans la nuit. Les entend-t-on encore ? Les sons se perdent déjà au loin... 

Non ! Ils sont encore proches, on les entend clairement ! 

 

L’inquiétude était là, d’autres pleuraient même si fort que leur voix répondait en écho au fracas des tonnerres. 

Violence maudite ! J’oserai ! S’il le faut ! Pourquoi pas ? 

Ils sont nôtres pourtant. Mais parfois un même arbre produit selon l’espèce des fruits plus ou moins bons. Le sang va au sang, la fureur se répand comme une hydre écumante de rage.  Et pourquoi pas ? S’il le faut ! J’oserai ! 

 

Mais qu’il s’éloigne, le suc amer et venimeux ! Il semble pourtant proche, bien plus proche qu’hier. 

Violence maudite ! A ton tour d’arpenter la vallée douloureuse. Aucune étoile ne viendra illuminer ton ciel, ciel d’orage, foudre et tonnerre. 

 

Faites-les taire ! Faites taire ces cris qui déchirent l’air épais, les vapeurs pourpres, les effluves gluantes de sang. 

 

Si mon heure a sonné, je mènerai mes meurtriers devant l’instance suprême. Nous verrons qui de nous en sortira vainqueur. 

 

Par bonheur la flèche prévue est plus lente à venir. La voyant arriver nous saurons l’éviter. Il est temps de reprendre l’errance des beaux jours. Le retour n’en sera que plus joyeux. 
Partir, oui ! Quitter ce refuge, s’il est menacé. Voyons ce qu’il nous faut ! Quels bagages, quelles malles remplir ? Du vin ? Des fruits à peine mûrs qui feront le voyage ? Nos gens sont économes et frugaux ! 

 

Déjà, l’ombre s’éteignant nous fait sentir le soleil se coucher, elle fait place à d’autres ombres et assourdit nos prières. Nos voix semblent se perdre dans le soir. Des échos furieux transpercent le silence bienfaisant de notre retraite 

 

Vous qui êtes heureux ici, désirez-vous un autre lieu ? Devons-nous nous effacer ? Nous replier vers une autre demeure ? Reculer devant une menace obscène qui prétend par la terreur anéantir ce que nous sommes, nous qui nous disons les chevaliers d’impossible, les amoureux d’absolu ? 

 

Le malheur me poursuit, la terreur me précède et me glace. Comme celle qui, hors d’haleine, sort de la mer au rivage, se retourne vers l’eau périlleuse et regarde le flot funeste auquel elle a échappé de peu, ainsi je fuis encore, me retournant pour regarder ce lieu qui ne laissa personne en vie. 

 

Ils sont comme porcs dans l’ordure, montrant de tout un horrible mépris. Ils sont comme chiens enragés, mordant et déchirant les chairs, brûlant et massacrant au gré de la haine absolue qui broie leur visage et leur cœur. Ils sont tous ivres de sang, ils sont enfiévrés de la passion dévorante du mal. Qui pourra jamais étancher leur soif ? 

 

Frères ! Ne prenons pas nos vœux à la légère. Soyons fidèles ! 

Fidèles comme l’aube qui ramène le jour. Fidèles comme la pluie qui arrose les sols assoiffés.
Fidèles comme le vent qui ramène le navire au port. 

Fidèles comme les étoiles en leurs demeures inamovibles. 

Par la fermeté de notre engagement, vengeons les offenses faites à la fraternité ! 

Existe-t-il une détresse, existe-t-il une peine qu’elle ne réveille par sa clarté ? 

Nous prierons pour tous les hommes de la terre. De l’occident à l’orient. Du nord au sud. De l’est à l’ouest. Nous demeurerons, prierons, aimerons, espèrerons... 

 

Nous allons à pas lents et comptés accomplir le court chemin de cette vie qui vole à sa fin. 

Il est déjà l’heure qui porte à la nostalgie le pèlerin fourbu. 

Mais qui comble celui dont la foi jamais ne vacille. 

 

Seul au plus profond d’une forêt hostile, hors du sentier perdu, j’allais. 

Heureux ceux que la grâce éclaire. Heureux ceux qui vivent dans la lumière. 

Notre vie est prière. Notre prière est témoignage. Notre témoignage est Amour. 

Mais voici que le doux parler d’une cloche lointaine ravive en moi une étrange douleur. 

Si tu veux une joie qui surpasse ta peine, chante d’une voix ferme, aime d’un 

cœur gonflé du vent salé d’un océan immense. 

 

Douleur et joie qui se mêlent ! Un vent divin, sur les flots capricieux guide l’ardent voyageur vers les étoiles. Vers les étoiles et vers le ciel, qui est pure lumière pleine d’amour, amour de vrai bien, plein d’allégresse. Ombre et lumière alternées ! 

 

Par le vœu prononcé de plein gré, par la fidélité, nous allons de servitude à liberté. 

Lumière qui scintille, comme rayon de soleil en eau pure ! 

S’il le faut, nous mourrons ainsi, sans séparation, ne formant qu’un à jamais. Sans fin, sans angoisse, anonymes et glorieux. 

 

Lumière ! Heureux ceux qui marchent dans les pas de la Fraternité millénaire. 

Le jour semble s’être ajouté au jour, comme si le Tout-Puissant avait orné le ciel d’un deuxième soleil. La gloire de Celui qui meut toutes choses pénètre l’univers. Tout est paradis au paradis. 

 

Non, la chaine ne rompt pas, ses anneaux sont de pur métal. 

Si l’un tombe, un autre sort de l’ombre. 
Non, le grain ne meurt pas, il repose en terre, fidèle. Il attend l’aube d’un jour nouveau.
Il espère l’eau du ciel, la chaleur de la lumière et le vent.Il sait, il sait depuis toujours.
Non, la chaine ne rompt pas. Non, le grain ne meurt pas.

Car c’est l’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles. 

 

 ©EricBreton2025

© Eric BRETON

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